Bataille pour la démocratisation des moyens de communication dans l’état de Sergipe

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L’événement a secoué l’actualité de l’Etat de Sergipe, pourtant monopolisée depuis plusieurs semaines par la Coupe du Monde et la campagne électorale. Le 25 juin dernier, près de 500 militant-e-s du Mouvement des Sans Terre occupaient pacifiquement, durant environ une heure, les studios de la radio Xodó FM, dans la ville de Nossa Senhora da Glória (région semi-aride de l’état de Sergipe). Objectif: obtenir un droit de réponse aux propos insultants et mensongers proférés contre le MST, jour après jour, par le présentateur Anselmo Tavares dans son programme « Jornal da Xodó. » Après négociation, les militant-e-s  obtenaient le droit de présenter leurs arguments durant une demi-heure, en direct depuis les locaux de la radio Xodó. Une opportunité qui ne leur avait jamais été accordée auparavant.

L’occupation des locaux de la radio Xodó FM a créé la polémique à Sergipe. Anselmo Tavares et la direction de la radio Xodó ont dénoncé une atteinte à la liberté d’expression. Plusieurs médias et associations de journalistes ont repris cette position. On peut s’interroger sur le contenu de cette « liberté. » « Canailles », « voleurs de terres », « lèches-botte », « ignorants »  sont les expressions – et il y a pire! – utilisées quotidiennement par Tavares pour attaquer les leaders du MST et, plus directement, le député (PT) João Daniel, issu du MST et élu il y a quatre ans à l’assemblée législative de l’état de Sergipe. Les accusations les plus scabreuses sont proférées tous les jours: les programmes d’habitations populaires arrachés par les mouvements sociaux sont assimilés à des schémas de détournement de fonds, les paysans du MST sont accusé de vendre leurs terres, le tout sous la houlette du député « étranger » (« forasteiro ») João Daniel, comme le qualifie Tavares. Pour rappel, João Daniel est une figure historique du MST dans l’état de Sergipe. Arrivé de Santa Catarina durant les années 80, il a participé à la fondation et au développement du mouvement – aujourd’hui, le MST organise plus de 20 000 familles Sans Terre à Sergipe. João Daniel a dû affronter les tortures de la Police Militaire, l’emprisonnement et plusieurs tentatives d’assassinat.

Pour comprendre la bataille en cours, il faut avoir en tête que la Radio Xodó est liée aux frères Amorim. L’un, Eduardo, est médecin et sénateur de la République (PSC, Parti social-chrétien, droite conservatrice). L’autre, Edvan, est un des plus grands entrepreneurs (construction, transports, commerces) de l’état de Sergipe. Les deux sont de grands propriétaires terriens, notamment dans l’état de Goiás (centre du pays). Eduardo Amorim est aujourd’hui candidat au poste de gouverneur de l’état de Sergipe. Il vient de recevoir l’appui officiel du préfet d’Aracaju, João Alves Filho. Trois fois gouverneur  de Sergipe (1983-1987, 1991-1995, 2003-2007), João Alves était connu pour ses méthodes répressives contre les mouvements sociaux. Dans la région du Sertão, il  avait reçu le sobriquet « João da Bala », « João de la balle ». Le bloc Amorim – Alves affronte l’actuel gouverneur Jackson Barreto (PMDB, Parti du Mouvement Démocratique Brésilien, centre droit, appuyé par le PT). Les frères Amorim traînent une réputation sulfureuse. Les origines de leur fortune sont obscures, et il sont régulièrement accusés de pratiques mafieuses.  Il y a deux ans, lors des élections municipales à Sergipe, plusieurs candidats  opposés au clan Amorim ont été victimes de tentatives d’assassinats. Alliés à João Alves, les frères Amorim représentent un bloc ultra-conservateur, qui dispute l’hégémonie dans l’état de Sergipe. Dans leur bataille pour le pouvoir, les Amorim peuvent compter sur un puissant réseau de radios (Rede Ilha de Telecomunicações), présent dans tout l’état.

Comme dans le reste du Brésil, les moyens de communication se caractérisent à Sergipe par leur degré de concentration extrême. Trois grandes familles (les Franco, les Alves et les Amorim) dominent la quasi-totalité des moyens de communication dans l’Etat de Sergipe. Toutes sont des familles de grands propriétaires terriens. Dans ces conditions, il est extrêmement difficile pour les mouvements sociaux de défendre leur point de vue. La « liberté d’expression » se  limite donc, la plupart du temps, à la liberté qu’ont les classes dominantes d’exprimer leur point de vue. De ce point de vue, l’occupation de la radio Xadó par le MST dans l’état de Sergipe s’inscrit, comme le rappelait une des banderoles brandies devant les locaux de la radio, dans une longue bataille pour la démocratisation des moyens de communication au Brésil.

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