Le MTST, le doigt sur les nouvelles contradictions de la société brésilienne

Copo do Povo

Ce vendredi 6 juin, le quotidien conservateur Estado de São Paulo fait part, en pages éditoriales, de sa grogne contre les mouvements sociaux qui, à moins d’une semaine du début de la Coupe du Monde au Brésil, font la Une des médias: d’une part, la grève à durée indéterminée des fonctionnaires du métro de São Paulo, remettant au centre des débats la question de la mobilité urbaine; de l’autre, les mobilisations massives du Mouvement des Travailleurs Sans Toit (MTST). Mardi soir, le MTST réunissait de 12 000 (selon les estimations de la Police Militaire ) à 25 000 (selon les organisateurs) travailleurs sans toit dans les rues de São Paulo. Après deux heures de manifestation, le cortège s’arrêtait devant l’ Arena Corinthians, le stade flambant neuf – et au prix ébouriffant – qui abritera, le 12, juin, la partie d’ouverture de la Coupe du Monde 2014 de football.

Comme le souligne l’hebdomadaire Carta Capital (4 juin 2014), « le MTST a organisé les plus grandes manifestations dans la ville depuis le mois de juin de l’année passée. » Début mai, il montait un campement, de barraques de bois et de bâches, sur un terrain de 150 000 mètres carrés laissé à l’abandon, situé à quatre kilomètres de l’ Arena Corinthians, dans la zone est de São Paulo. Le campement, baptisé Copa do Povo (La Coupe du Monde du peuple), abrite aujourd’hui plusieurs milliers de familles sans-toit. Le MTST revendique la désappropriation du terrain appartenant à l’entreprise Viver Incorporadora, lourdement endettée auprès de la préfecture de Sao Paulo.

Dans toutes les grandes villes du pays, les histoires des familles sans-toit sont semblables à celle de Wilson Barbosa, membre du MTST, racontée par l’hebdomadaire Carta Capital: travaillant comme portier dans un immeuble locatif, Wilson gagne 1015 reais mensuels (le salaire minimum au Brésil est de 724 reais par mois), complétés par le revenu de son épouse, qui travaille dans une cantine populaire. La famille est prise à la gorge par le coût du loyer, qui est de 600 reais par mois: poussés par la spéculation immobilière et l’augmentation du prix des terrains (en milieu urbain comme dans les campagnes), les loyers ont prix l’ascenseur dans tout le pays. En zone est de São Paulo, l’augmentation était de 140% au cours des dernières cinq années. Pour des centaines de milliers de travailleurs, dont les salaires restent extrêmement bas comparés au coût de la vie – comme le démontrent les études de l’Institut de statistique des syndicats brésiliens, le Dieese -, et malgré la construction de près de quatre millions (selon les chiffres du gouvernement fédéral) de maisons populaires de 2009 à 2014,  via  le programme gouvernemental Minha Casa, Minha Vida (Ma Maison, Ma vie), l’accès à un logement décent est une mission extrêmement difficile, voire impossible.

Il est intéressant de noter que, comme d’autres mouvements urbains, le MTST est né d’une occupation urbaine menée il y a dix-sept ans par le Mouvement des Travailleurs ruraux Sans Terre dans la ville de Campinas, située à une centaine de kilomètres de São Paulo. Au mois de mai de passé, MST et MTST occupaient ensemble le siège de l’entreprise de construction brésilienne Odebrecht SA, la plus importante du pays, pointée du doigt pour sa contribution à l’expulsion de milliers de familles urbaines de leurs logements,  mais aussi de familles paysannes de leurs terres – Odebrecht SA investit aussi dans l’agronégoce, notamment dans les usines de transformation de canne-à-sucre en éthanol.

La philosophie de lutte du MTST est résumée par un de ses leaders, Guilherme Boulos, interviewé par Carta Capital: « Ce qui fait la différence, c’est si vous négociez à genoux ou si vous discutez debout. Si vous restez à l’intérieur des institutions, vous êtes vous situez dans la logique d’obtenir une faveur. Si vous dialoguez du dehors, en faisant des marches et des luttes, vous dialogues d’égal à égal. » Le slogan du mouvement n’est pas Não vai ter copa (Il n’y aura pas de Coupe du Monde), mais Copa Sem Povo, Tô na Rua de Novo (Coupe du Monde sans la population, je descends dans la rue de nouveau). Sa revendication: la construction de maisons populaires de qualité pour les familles sans-toit. Comme le souligne Carta Capital: « S’il y a un mouvement capable d’attirer l’attention durant la Coupe du Monde, c’est bien le MTST. »

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