«Nous espérons que la présidente Dilma n’entrera pas dans l’histoire de notre pays à côté de Fernando Henrique Cardoso, au chapitre consacré au bradage de nos richesses.» L’avertissement vient de João Pedro Stedile, dirigeant du Mouvement des Sans Terre (MST). Fernando Henrique Cardoso (PSDB, Parti de la social-démocratie brésilienne) a présidé le Brésil de 1995 à 2002. Bête noire des syndicats, il a privatisé le géant du minerais Vale do Rio Doce, le constructeur d’avions Embraer, les entreprises de télécommunications, d’électricité, de chemin de fer. Pour une bouchée de pain.
C’est aujourd’hui Dilma Roussef (PT, Parti des travailleurs) qui est accusée de brader la plus grande réserve de pétrole découverte à ce jour au Brésil: le champ de Libra. Situé à 170 kilomètres des côtes de Rio de Janeiro, ses réserves sont estimées à 12 milliards de barils. Le Libra fait partie du pré-sel, un immense gisement d’or noir s’étendant sur 800 kilomètres, à 7000 mètres de la surface de la mer.
Aux enchères
Le Libra pèse 1,5 trillions de dollars. Le 21 octobre prochain, son exploitation sera cédée au plus offrant. Onze entreprises sont sur les rangs – sept figurent parmi les leaders mondiaux du secteur. Le contrat porte sur 35 ans. Le gagnant aura pour partenaire minoritaire la Petrobras, unique compagnie brésilienne dans la course. Il devra verser à l’Etat brésilien un «bonus» de 15 milliards, 15% des recettes sous forme de royalties et une partie du pétrole extrait, déduction faite des coûts d’extraction. Le reste pourra être exporté librement.
Le 20 septembre dernier, 80 syndicats et mouvements sociaux – appuyés par des techniciens et personnalités proches de Petrobras – écrivaient à la présidente. Leur revendication: la suspension de la mise aux enchères. «Le pétrole est une matière première stratégique, qui doit être mise au service du développement du pays. Il ne peut être remis à des multinationales» explique Vando Santana, dirigeant du Syndicat des pétroliers de l’Etat de Sergipe. «Alors même que le Brésil dispose d’une entreprise, Petrobras, qui a une longue expertise dans l’exploitation en haute-mer.» Pour les opposants, le Libra doit être confié exclusivement à Petrobras, dont le gouvernement contrôle 47% des actions.
Bras-de-fer
Dilma Rousseff fait la sourde oreille. Et prépare la mise aux enchères de nouveaux blocs du pré-sel. Selon la présidente, la vente du Libra est un «passeport pour le futur», qui va «stimuler la chaîne productive et gérer des milliers d’emplois.» Sans compter que l’opération devrait rapporter, sur 35 ans, entre 300 et 700 milliards de reais [1] aux caisses de l’Etat, qui seront destinés à l’éducation et la santé [2].
L’argument ne convainc pas Paulo Kliass, docteur en économie et spécialiste en politiques publiques: «Si c’est Petrobras qui exploite seule le gisement, les revenus à disposition du social seront plus élevés.» Selon Kliass, la mise aux enchères du Libra n’entraînera ni développement, ni création d’emplois: «Les candidats s’engagent à contrater un certain nombre de services à des entreprises brésiliennes. Mais les amendes, en cas de non-respect de ces normes, sont très basses. Il sera facile de sous-traiter à l’étranger la construction des plate-formes pétrolières, des navires, puis d’exporter le pétrole brut.» Cette privatisation de la gestion d’une ressource-clé ne ferait que «renforcer le Brésil dans son rôle subalterne d’exportateur de matières premières.»
L’option du privé
Le débat ne se limite pas au pétrole. En août 2012, la présidente Dilma lançait son Plan d’investissement en logistique: 7,5 mille kilomètres de routes et 10 mille kilomètres de voies ferrées seront confiés à des entreprises privées, via des concessions. Les entreprises auront accès aux prêts publics, à taux préférentiel, de la Banque nationale de développement social (BNDES). Le retour sur investissement sera garanti. Un modèle semblable est appliqué, au pas de charge, dans les aéroports et les ports. Le gouvernement réfléchit même à privatiser son programme nucléaire [3].
Pour le ministre de l’économie, Guido Mantega, les concessions vont stimuler l’investissement et la croissance. Les mouvements sociaux dénoncent une politique de privatisation d’inspiration néolibérale. Ils mettent le doigt sur un autre élément: il est probable que le gouvernement utilise cette année l’intégralité des recettes des concessions (dont celle du Libra) pour payer les intérêts de la dette publique aux investisseurs [4]. La population serait doublement flouée.
Le 17 octobre, le ton se durcissait. Les pétroliers entraient en grève dans tout le pays. Appuyés par les mouvements paysans, ils occupaient le Ministère des Mines et de l’Energie à Brasilia, dénonçant le «hold up de Libra». Une grande mobilisation à Rio de Janeiro est prévue lundi prochain, jour des enchères. Dilma Rousseff a fait appel à l’armée pour assurer la «sécurité» du processus. La fronde monte contre l’option privatisante de Dilma.