Jusqu’à présent, une des rares mesures concrètes annoncées par la présidente Dilma Rousseff face aux grandes manifestations qui ont secoué le pays au mois de juin est celle de l’engagement de médecins étrangers pour répondre au manque de médecins dans le pays, avant tout dans les campagnes et les périphéries urbaines. Les pays d’origine de ces médecins seraient: Cuba, le Portugal et l’Espagne. Dilma a annoncé une mesure complémentaire: le rallongement de deux années du cursus des médecins formés au Brésil (aujourd’hui de six ans). Ces deux années seront consacrées à travailler – moyennant rémunération – dans le Système Unique de Santé (SUS, public), dans des régions qui manquent de médecins. Les étudiants ne recevraient leur diplôme qu’à l’issue de ces deux années de pratique.
La mesure a soulevé une levée de boucliers des associations professionnelles de médecins et de la droite de l’échiquer politique, pour lesquelles la mesure serait « populiste », ne répondrait pas aux vrais problèmes, voire mettrait en danger le système de santé et les patient-e-s. Ils se mobilisent fortement ces dernières semaines, avec manifestations, attaques contre Dilma et le ministre de la santé, Alexandre Padilha, bien médiatisées. La semaine prochaine, ils réaliseront même une journée de grève nationale.
Il est clair que le problème du système public de santé ne se situe pas seulement au niveau du nombre de médecins exerçant: le système public est largement sous-financé, ce qui renvoie à un problème de politique économique (les services publics sont largement sous-développés dans le pays alors que 45% du budget de l’Etat est utilisé pour payer le service de la dette). Mais, sur le terrain concret, comme ici dans la région rurale du Sertão, le manque de médecins se fait cruellement sentir pour la population pauvre.
Pour les familles vivant dans des petites agglomérations rurales, le passage d’une équipe de santé ou d’un médecin est un événement aussi extraordinaire que l’arrivée de la pluie… Même des villes importantes de la région comme Glória, Monte Alegre, Poço Redondo ou Canindé de São Francisco manquent de médecins.
Conséquence de cette pénurie, les municipalités situées loin des grands centres urbains offrent des salaires mirobolants pour attirer des médecins: 12 000, voire 20 000 reais dans certaines municipalités, dans des cas que nous connaissons, alors que le salaire minimum mensuel est ici de 670 reais! De nombreux médecins empochent ces salaires, complètent leur revenu en réalisant des gardes dans d’autres hôpitaux, travaillent encore un peu dans le système privé (très développé au Brésil) de santé… en attendant d’ouvrir leur lucrative clinique privée. Bref: ils s’enrichissent en profitant d’une pénurie entretenue. N’oublions pas, aussi que les études de médecine ici au Brésil sont fortement élitisées, et orientées vers le travail dans le système privé.
Bref. Il est temps de remettre à l’ordre cette caste privilégiée et de favoriser l’accès aux soins de la grande majorité de la population au Brésil. La proposition de Dilma, avec toutes ses limites, va dans ce sens. Il faudrait bien sûr aussi investir largement dans un système public de santé – tout en stoppant le financement public aux cliniques privées, ainsi que la sous-traitance de la gestion des hôpitaux publics, une pratique en plein essor. Mais cela, c’est encore une autre paire de manches et cela impliquera des batailles politiques et sociales d’une autre ampleur…