- Mobilisation des mouvements paysans à Brasilia, le 22 août 2012. Photo: Ruy Sposati-Cimi
- “C’est une rencontre historique.” Selon João Pedro Stedile, leader du Mouvement des paysans sans terre (MST), l’événement pourrait marquer un point d’inflexion dans les luttes sociales au Brésil. Du 20 au 22 août, 7000 militants convergeaient vers la capitale Brasilia pour assister à la première «Rencontre unitaire des travailleuses, travailleurs et peuples de la campagne, des eaux et des forêts». Venus de tout le pays, ces représentants des mouvements sociaux paysans, des syndicats de travailleurs ruraux, des femmes paysannes, des membres des communautés indigènes et quilombolas (formées par les descendants d’anciens esclaves fugitifs) dressaient leur campement au milieu de la ville.
Le poids de l’histoire
L’émotion des participant-e-s était palpable. La dernière rencontre nationale de ce type remontait à… novembre 1961: le premier Congrès paysan de l’histoire brésilienne réunissait 600 délégués dans la ville de Belo Horizonte. Ils y réaffirmaient leur volonté de lutter pour une réforme agraire radicale, résumée par un slogan devenu mythique: «La réforme agraire, par la loi ou par la lutte.» L’ébullition sociale poussait le président de la République, João Goulart, à promulguer un décret expropriant toutes les terres situées en bordure des routes nationales et des voies de chemin de ferre, pour les destiner à la réforme agraire. C’était le 13 mars 1964. Le 1er avril, un coup d’Etat militaire déposait Goulart et étouffait durant vingt ans la contestation sous une répression féroce.
Nouveau contexte…
Cinquante ans plus tard, les mouvements sociaux ont relevé la tête: le MST, qui a joué un rôle moteur dans la mise sur pied de la rencontre de Brasilia, organise 1,5 million de sans terre; quilombos et communautés indigènes se battent pied à pied pour la reconnaissance de leurs territoires; les organisations de petits paysans revendiquent les ressources nécessaires pour développer une agriculture familiale. Leurs luttes prennent place dans un contexte profondément modifié: la majeure partie de la population vit désormais dans des villes enflées par l’exode rural. Et, dans les campagnes, les traditionnels et réactionnaires grands propriétaires terriens font peu à peu place aux firmes mondialisées de l’agrobusiness, qui produisent des commodities destinées au marché mondial. Selon João Pedro Stedile, «ces trois dernières années, ces transnationales ont racheté 4 millions d’hectares de terres au Brésil.»
… et vieux problèmes
Les militants présents à Brasilia étaient unanimes. Ce nouveau contexte ravive un vieux problème: la concentration des terres, une des plus élevées au monde, ne fait qu’augmenter. A travers le pays, 184 000 familles attendent la réforme agraire sous des bâches de plastique, pendant que d’immenses monocultures de canne à sucre, d’eucalyptus ou de maïs étendent leur emprise sur les campagnes.
Un autre danger pour les populations rurales était pointé du doigt: les immenses travaux d’infrastructures (usines hydro-électriques, routes, chemins de fer, ports, etc.) des Programmes d’accélération de la croissance (PAC), lancés par le gouvernement Lula et continués par la présidente Dilma Rousseff, menacent l’habitat de milliers de familles. Les communautés indigènes sont particulièrement touchées, avec plus de 500 projets du PAC prévus sur leurs terres!
Construire l’unité
Pour Stedile, «cette nouvelle conjoncture exige l’unité de toutes les organisations représentant la population de la campagne.» La nécessité d’unifier des luttes éparses face à un adversaire commun était au cœur des débats. Elle se doublait d’une autre priorité: développer une alternative commune au modèle de l’agrobusiness, vorace consommateur de produits agro-toxiques et partisan fervent de la déforestation. Les discussions dessinaient les contours d’un nouveau mode de production agricole, basé sur la souveraineté alimentaire et l’agroécologie. Mais rien ne sera possible sans une profonde réforme agraire démocratisant l’accès à la terre. La Déclaration commune adoptée à l’issue de la Rencontre en fait son point central, affirmant «la réforme agraire comme politique essentielle pour un développement juste, populaire, solidaire et durable.»
Priorité à la lutte
L’amertume pointait face au gouvernement de Dilma Rousseff, accusé de faire le jeu de l’agronégoce. Au mois d’août 2011, suite à une semaine de mobilisations menée par le MST, la présidente promettait de dégager plus de moyens pour la réforme agraire. Paroles en l’air. A Brasilia, les mouvements sociaux paysans ont donc changé de stratégie: plutôt que chercher la négociation avec le gouvernement, elles ont priorisé le renforcement de leur capacité de mobilisation par un calendrier d’actions communes. A l’issue des discussions, les 7000 militants marchaient jusque sous les fenêtres du Palais présidentiel pour y exiger la réforme agraire. Les prémisses d’un nouveau cycle de luttes paysannes au Brésil?